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Gestion de crise : découvrez comment l’optimiser avec L. Pinganaud (2/2)

Publié le 9 janvier 2023 ...

#Comprendre #Sécurité

Ludovic Pinganaud, nous l’avons vu dans la première partie de l’interview a vécu de l’intérieur de très grandes crises françaises. Dans cette deuxième partie, écoutons-le nous parler d’organisation et de l’homme au centre de tout. Un homme dont il faut connaître les faiblesses pour mieux l’épauler dans la gestion des crises.

Parmi ces hommes, figurent les préfets, personnages importants dans la gestion quotidienne, et au plus près du terrain, des crises, qu’elles quelles soient. D’autres existeront par leur expérience des procédures, des hommes et de leur comportement dans des situations de crise. Pourtant, sur tous, et donc sur nous, Ludovic Pinganaud porte un regard tellement pertinent.

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Le préfet, un acteur incontournable

Là encore, vous avez un exemple très parlant…

Exemple vécu avec les épisodes neigeux qui peuvent aboutir à des naufragés de la route.

À un moment donné, fermer la route nationale 118 ou telle autoroute là où il ne neige a priori jamais, cela a des conséquences, mais le premier à être en capacité de comprendre et de prendre la décision, pour éviter que les voitures et camions continuent à entrer sur cet axe transformé en impasse, c’est la société d’autoroute qui est le premier acteur à le mesurer puis à le comprendre, et dans un deuxième temps le peloton de gendarmerie d’autoroute, mais ce n’est certainement pas le préfet dont la formation n’intègre certainement pas la gestion des crises — et la prise de décision — en cas d’épisode neigeux sur autoroute.

Tout cela fait que le processus décisionnel nécessite la mobilisation de toute une chaîne d’acteurs. Ce processus va remonter les informations quant à l’événement à un service interministériel -la Sécurité Civile-. L’information remonte au directeur de cabinet du préfet qui, par sécurité, interroge le secrétaire général de la préfecture. Ce dernier, au bout d’un moment, finira par dire « bon, on va quand même oser poser la question au préfet »… sauf qu’il s’est déjà passé un certain temps et qu’à un moment donné, si cette décision arrive heureusement à être prise, elle l’est trop tardivement.

Un plan, pour quoi ?

Pour éviter cela — et c’est aujourd’hui le métier de Ludovic Pinganaud-, il s’agit d’identifier dans un processus décisionnel, dans un circuit d’information, des vulnérabilités, des points qui peuvent fragiliser les processus existants de gestions des crises, et ce, évidemment, pour les traiter.

Très souvent, dans les grandes entreprises, et administrations, on a rédigé un certain nombre de plans. C’est très rassurant, mais dans un certain nombre de cas, ces plans ne servent à rien ! En effet, par rapport au fonctionnement de notre cerveau, on a tendance à sous-estimer les situations potentiellement graves et à ‘‘valoriser’’ les situations potentiellement positives.

On fonctionne tous ainsi, donc — à partir du moment où l’on vient vous voir en vous disant attention, tel fleuve risque de déborder du fait de fortes pluies, on a tendance à dire « hop hop hop, ne nous affolons pas et regardons comment les choses évoluent ».

Malheureusement, parce qu’on ne croit pas que le pire puisse se produire, on va attendre trop longtemps. Quand on se décide, on va vouloir mettre en place des « choses », mais souvent il est trop tard, soit parce que le risque s’est concrétisé, soit parce que le centre opérationnel n’est pas accessible pour toutes les personnes qui doivent contribuer à son fonctionnement.

 À ce stade, il n’est pas rare que la pression temporelle pousse à ne pas utiliser les plans existants — cela va nous faire perdre du temps (ce qui est une erreur, mais s’explique par le fait que l’on ne le connait pas et qu’en prendre la mesure en quelques minutes pour l’appliquer, c’est extrêmement difficile), mais à mettre en œuvre des actions pas forcément très efficientes.

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Un peu d’organisation…

Attention, je ne dis pas que tout le monde doit connaitre « le » plan. Par contre, si le dispositif commence à se mettre en place dès les premiers signaux, on aura toujours le temps de reprendre ce fameux plan, chacun en fonction de ses compétences et de son positionnement. On peut imaginer positionner une à deux personnes sur l’examen du plan pour en comprendre la logique, la cohérence et en extraire les éléments intéressants, immédiatement utilisables.

Continuons avec mon hypothèse des deux personnes positionnées sur le plan, et le plus tôt possible. En agissant ainsi, on se soustrait à la pression temporelle, ce qui laisse toute la liberté nécessaire pour reprendre le plan et l’adapter à la situation rencontrée : on revoit les procédures existantes. On en crée d’autres, en fonction des besoins concrets.

… Pour un dispositif robuste…

Cela permet de se doter d’un dispositif robuste, parce que des personnes se sont approprié le plan, l’utilisent et font évoluer l’ensemble de manière pertinente.

On profite de cette dynamique d’amélioration continue pour y intégrer le facteur humain et les relations entre les différents acteurs. De la sorte, on arrive à développer une capacité de résilience de l’organisation. Cela permet, in fine, d’avoir une, réponse adaptée à la situation.

 

Pour nos clients, on va identifier dans leur organisation toutes ces fragilités, toutes leurs vulnérabilités. Les évolutions à mettre en œuvre ensuite ont un objectif, prendre « la » bonne décision et protéger les décideurs.

… Robuste et intelligent

Pouvez-vous donner un exemple ?

Actuellement, nous travaillons sur un gros projet reposant sur la création d’un dispositif de veille de signaux précurseurs devant alerter sur la fragilisation de tel ou tel domaine. Sont ensuite mises en perspectives les interactions entre les différents signaux faibles reçus pour détecter la possible survenue d’un événement redouté. La difficulté, à ce moment, est d’annoncer cette possibilité au décideur concerné, un ministre de l’intérieur par exemple, lequel n’aura pas forcément l’expertise nécessaire pour comprendre ce qui est en train de se nouer. C’est là qu’il importe de faire le lien entre la veille et une personne à même de comprendre le tableau que donnent les différents signaux et — surtout — leurs interactions et leurs possibles conséquences.

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Un trio pour avancer

L’entreprise de Ludovic Pinganaud (ATRISC), dans ce dossier, prend soin d’éviter tout risque de surestimation ou sous-estimation avec l’organisation suivante :

Nous proposons le concept de la Triade, trois personnes connaissant le risque à traiter, mais en faisant attention qu’au moins une des trois ne soit pas proche des deux autres. Ce peut-être un officier de police, un autre du corps des sapeurs-pompiers. Dans mon exemple, on voit bien qu’on a là deux personnes qui peuvent avoir l’habitude de travailler ensemble. Et donc la troisième devra venir d’un univers complètement différent. Dans notre dossier, ce pourra être le directeur général des services du ministre concerné. Dans cette configuration, nous avons deux opérationnels qui n’ont pas besoin de beaucoup se parler pour se comprendre. Notre troisième homme n’est pas un opérationnel. Il va donc poser de nombreuses questions pour comprendre la situation, puis la portée des actions proposées.

La confrontation de couplages forts — les deux opérationnels — avec un couplage faible (les opérationnels et le fonctionnel) optimise, d’après notre expérience et les travaux de notre direction R&D, la meilleure rapidité de formulation de la bonne réponse à donner.

Pour revenir à la protection des décideurs, avec ce schéma, la réponse proposée au ministre repose sur les échanges de trois personnes légitimes. Notre décideur peut alors difficilement rejeter la proposition et — en même temps, il sait que tous les aspects de la situation ont été évalués.

L’intérêt de cette organisation, avec une triade créée en fonction des types de risques, peut s’adapter à toutes les situations.

Variations

Une telle organisation s’adapte évidemment en fonction du type d’entreprise :

  • il y a celles soumises de façon très régulière à des situations de crise. Dans celles-ci, il est important de mettre en place un système (s’inspirant de ce que j’expliquais plus haut) bien structuré, avec des personnes formées régulièrement.
  • Pour celles soumises plus épisodiquement à ce type de situations, leur organisation doit prendre en compte le fait que les sollicitations seront rares. On y parle que rarement de gestion de crise. En conséquence, il est important de travailler à un autre niveau, celui de la fiabilité opérationnelle. À ces entreprises — pouvant être grandes ou petites —, nous proposons de mettre en place une veille permanente donnant la possibilité de monter très rapidement en puissance avec des outils très simples, mais adaptés pour appréhender la situation. Une fois celle-ci comprise, elle sera en mesure de mettre en place les barrières prévues ou non pour éviter que la situation ne se dégrade ou en limiter ses effets et, ensuite, de revenir à la normale le plus vite possible.

Le management de l’incertitude 

À plusieurs reprises, je vous ai entendu parler de management de l’incertitude.

Effectivement, je parle de management de l’incertitude, car c’est une notion importante. C’est en effet notre capacité à accepter que l’on ne sait pas tout, que l’on ne comprend pas tout, mais que nous devons quand même prendre des décisions et donc manager des hommes et des femmes.

Face à l’incertitude, nous avons plusieurs systèmes de défense pour échapper à cette incertitude.

Exemples :

  • Ignorer la situation (déni ou non intentionnel de la situation)
  • Ne pas prendre la problématique dans sa globalité, mais juste la partie où l’on se sent à l’aise, ce qui conduit parfois à ce que l’on appelle des effets de tunnellisation.

D’autres biais cognitifs existent, mais ce sont là les plus courants et tous vont venir impacter notre prise de conscience des événements et, in fine, nous rassurer. Or, il faut avoir conscience que dans ces situations il est normal de ne pas être en mesure de pouvoir seul tout maîtriser et donc de se retrouver dans des situations d’incertitude. C’est extrêmement anxiogène pour les décideurs. D’où le déni…

Manager dans l’incertitude, c’est commencer par se dire que, aujourd’hui, en tant que décideur, je ne sais pas tout sur les risques que court ma structure. Ceci posé, de vais mettre en place une organisation collective et collaborative qui va me permettre petit à petit de reprendre la main sur la situation et de lever les incertitudes, les unes après les autres. Au final je redonne du sens à la situation dans laquelle on est immergé.

Et parce que l’on redonne du sens aux choses, aux événements, on peut arrêter de subir pour engager un vrai travail d’anticipation. Pour le dire autrement, la photo de l’événement va se « déflouter » petit à petit et nous aider à voir plus clair pour ‘‘prévoir la suite’’. Cette capacité d’anticipation retrouvée, progressivement, nous passons de décisions nécessaires à la compréhension de la situation à des décisions pour la résoudre.