Me contacter
06 89 71 64 24

Gaza, une guerre coloniale

Publié le 7 juin 2025 ...

#Comprendre #Monde

Dans le paysage éditorial, rares sont les livres qui saisissent l'actualité la plus brûlante en conservant la rigueur nécessaire à une analyse de fond. « Gaza, une guerre coloniale » relève ce défi avec une ambition claire : documenter et comprendre la guerre déclenchée à Gaza après le 7 octobre, non comme un événement isolé mais comme une étape...

Véronique Bontemps

Véronique Bontemps est chercheuse au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA) et spécialiste du Moyen-Orient. Ses travaux portent sur l’anthropologie des migrations, du droit et de l’État dans les sociétés arabes, ainsi que sur les dynamiques sociales et politiques en Palestine et dans les territoires palestiniens.

 

Stéphanie Latte Abdallah

Stéphanie Latte Abdallah est historienne et politiste, directrice de recherche au CNRS, et spécialiste du Moyen-Orient et des sociétés arabes. Elle s’intéresse particulièrement aux alternatives sociales et écologiques, ainsi qu’aux questions de genre et de mobilités dans les sociétés arabes contemporaines.

Deux co-directrices pour « Gaza, une guerre coloniale »

(aux éditions Actes Sud)

Cet ouvrage pluridisciplinaire a l’ambition de répondre à de multiples questions relatives à Gaza comme,  » de quoi cette guerre est-elle le nom ou l’apogée ? ». Pour atteindre l’objectif visé, Véronique Bontemps et Stéphanie Latte Abdallah ont co-dirigé le travail d’une large équipe de spécialistes.

Merci à elles de cet énorme travail, et de ce beau résultat. Merci à toutes les personnes qui ont oeuvré collectivement pour nous permettre de comprendre ce qui se passe, lon de chez nous, dans la bande de Gaza. Vous découvrirez leurs nom au fil des chapitres de ce livre…

Large éventail de capacités d’analyses

L’originalité méthodologique réside dans la mobilisation de chercheurs de disciplines diverses et complémentaires (anthropologie, sociologie, histoire, géographie) issus d’institutions universitaires internationales. Cette pluralité de regards construit un point de vue collectif qui « rend le regard possible » dans une situation d’hypervisibilité et d’invisibilisation simultanées.

Colonialisme… de peuplement

De la lecture de cet ouvrage, je ressors avec – en tête – un mot fort, celui de colonialisme. Affiché dès le titre du livre il aurait pu  être un prisme déformant , mais ce n’est pas le cas. Ce mot – et la réalité qu’il recouvre – s’avère au contraire être une grille d’analyse pertinente.

De plus, il s’appuie sur une tradition académique remontant à 1948, mais largement « silenciée » pendant la période d’Oslo. En effet, la situation était alors présentée comme un simple conflit entre parties égales.

Ensuite, du mot – seul, brut, pouvant sembler dérangeant, de prime abord – je suis passé à une expression celle de « colonialisme de peuplement ». Elle résume parfaitement une dynamique à l’œuvre côté israélien – et pas seulement à Gaza… Il s’agit en effet de transférer l’autochtonie vers les colons quand, dans le même temps les  populations indigènes sont exclues , … voire éliminées.

Enfin, dernier intérêt de cet angle, cette grille d’analyse permet de comparer le cas palestinien aux processus observés aux États-Unis, au Canada ou en Australie, qui ont « réussi » leur entreprise coloniale.

Droit international et  guerre

L’analyse juridique mobilise les développements récents du droit international. La Cour internationale de justice a reconnu un « risque plausible de génocide » en janvier 2024 et imposé des mesures conservatoires à Israël, tandis que la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre B. Netanyahu et Y. Gallant en octobre 2024.

La rapporteuse spéciale des Nations unies, Francesca Albanese, a dressé un état des lieux attestant la poursuite de pratiques guerrières relevant d’un génocide.

Pénurie organisée… futuricide

L’offensive israélienne  :

– a conduit à la mort de plus de 50 000 Palestiniens,

– fait plus de 113 000 blessés, à ce jour,  

– et provoqué le déplacement forcé d’une très grande part des 2,3 millions de Gazaouis.

La population est soumise à un blocus israélien quasi hermétique depuis que l’armée contrôle toutes les frontières du territoire, entraînant de multiples pénuries utilisées comme armes de guerre.

L’ouvrage analyse cette destruction comme un « futuricide » : détruire systématiquement tout ce qui permet à une société de se projeter dans l’avenir. Toutes les infrastructures vitales ont été visées : écoles, universités, hôpitaux, patrimoine culturel.

Silence assourdissant

L’ouvrage montre comment les Palestiniens sont systématiquement privés de parole et d’humanité dans les médias, où ils n’apparaissent que comme terroristes ou victimes, jamais comme personnes à part entière.

Israël a organisé cette invisibilisation par le meurtre de plus de 150 journalistes sur place et l’interdiction faite aux journalistes internationaux de se rendre à Gaza.

Dans les pays occidentaux, la censure et la répression des récits palestiniens se sont multipliées, complétant cette stratégie d’effacement.

En guise de conclusion…

 « Gaza, une guerre coloniale » réussit  à mon sens son pari : fournir des clés scientifiques pour dépasser les clivages du débat public. En mobilisant, par exemple,  le droit international et l’analyse historique, l’ouvrage démontre que l’usage des termes « colonial » et « génocide » relève de l’analyse rigoureuse, non de la polémique. Enfin, il me semble que ce travail collectif ouvre, hélas, des perspectives qui dépassent le cas gazaoui.

 



Merci aux éditions Actes Sud de leur confiance. J’ai en effet pu me plonger un peu avant la sortie de cet ouvrage en librairie. Pour pouvoir vous en parler quelques, jours plus tard, c’était effectivement nécessaire.

Il importe en effet de prendre le temps de peser ses mots devant cette guerre coloniale et pour vous en parler…


Les photographies utilisées ici pour illustrer ce texte ont été prises par Hosny Salah, photographe palestinien vivant actuellement dans la bande de Gaza en Palestine.



 

Pour entrer dans ce livre :

Chaque métier, chaque discipline, chaque méthode de réflexion ou d’investigation a ses mots, son propre vocabulaire. Celui-ci se développera d’autant plus que ses acteurs seront actifs et les thèmes traités « dynamiques ». Ce livre n’échappe pas  à cette réalité. Pour autant les chercheurs qui ont contribué à son édification sont de très bons pédagogues. Pour illustrer cela, j’ai extrait une citation de cet ouvrage afin de laisser son autrice, non seulement expliquer un concept, mais derrière nous faire découvrir toute la réalité qu’il recouvre.

Citation de Ruba Salih (décembre 2023) :

« Il n’y a malheureusement rien de nouveau à affirmer que les peuples opprimés et colonisés ont été, et continuent à être, soumis à une violence épistémique – altérisation, réduction au silence et visibilité sélective – qui les rend inaudibles, ou ne les montre et ne les écoute que dans l’unique cadre de certains points de vue ou registres perceptuels – terroristes, manifestants, meurtriers, sujets humanitaires – tout en les privant de leurs qualités les plus humaines. La disparition et la déshumanisation fabriquées des Palestiniens participent et continuent de participer de leur élimination physique et de leur effacement en tant que peuple. »

Contexte et intérêt : Cette citation est extraite de l’introduction du livre et provient d’un texte de l’anthropologue Ruba Salih écrit en décembre 2023.

Pourquoi cette citation est remarquable :

  • Elle explique de manière accessible un concept académique complexe;
  • Elle établit un lien direct entre la représentation médiatique et l’élimination physique;
  • Elle montre comment la déshumanisation précède et accompagne la violence physique;
  • Elle s’inscrit dans une perspective historique plus large sur les peuples colonisés.