Me contacter
06 89 71 64 24

Romain Mielcarek, le temps d’un café

Publié le 18 mars 2025 ...

#Comprendre #géopolitique

À l'heure où notre regard est tourné vers l'Est de l'Europe, à juste raison, Romain Mielcarek - avec son livre Les Moujiks - nous parle d'un autre monde inquiétant, le monde des espions. . Il nous a raconté dans son livre sa relation avec des espions russes. Pour le plaisir de prolonger l'échange, il répond dans ce 2° article à quelques questions.

Romain Mielcarek

— Bio Express—

Journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales, Romain Mielcarek a collaboré avec Le Monde Diplomatique, RFI, Society, DSI, Slate, La Vie, Air & Cosmos, LCI, Radio France Internationale (RFI)…

Docteur en sciences de l’information et de la communication il a mené une thèse sur « L’influence de la communication militaire française sur le récit médiatique de la guerre en Afghanistan ». Il enseigne le journalisme, les médias et la géopolitique dans plusieurs universités et écoles de journalisme.

« Ma thèse porte sur l’influence de la communication militaire sur le récit médiatique, au cours du conflit afghan, depuis le début des années 2000. Il s’agit ici d’évaluer quelles formes prend cette influence et par quels types de mécanismes elle peut s’appliquer (psychosociologie, biais cognitifs, manipulation, argumentation, rhétorique). Il s’agit enfin d’en mesurer l’efficacité et les résultats. Le tout à partir d’un corpus d’archives de presse d’une ampleur rarement traitée, en France comme dans le monde anglo-saxon« .

Il enseigne le journalisme, les médias et la géopolitique dans plusieurs universités et écoles de journalisme.

ThB : Quand vous avez décidé d’écrire un livre de ces rencontres sur 10 ans avec Sergueï[1], que vouliez-vous dire au lecteur ?

RM : Au-delà de ma propre expérience, le livre raconte celles de nombreuses autres personnes. Le principal message est de montrer la diversité des gens qui ont croisé le chemin des services de renseignement russes. Certains qui travaillent dans des secteurs potentiellement stratégiques. Mais d’autres qui n’imagineraient jamais être confrontés à cela : simples fonctionnaires locaux ou associations mémorielles par exemple.

Les Russes font feu de tout bois pour développer un réseau qui leur ouvrent portes et opportunités. Votre travail à vous n’est peut-être pas intéressant. Mais votre cousin qui travaille dans le nucléaire, votre voisin qui travaille dans l’armement, votre neveu qui est militaire… sont autant de cibles qu’ils peuvent atteindre à travers vous.

Un second message est de faire prendre conscience que les Russes sont agressifs sur le territoire et contre les intérêts français depuis le début des années 2010. Beaucoup n’en ont pris conscience qu’avec l’invasion générale de l’Ukraine en 2022.

Mais Moscou est en guerre depuis bien plus longtemps et pendant que nos responsables politiques, diplomatiques et militaires ignoraient le problème, eux portaient des coups et plaçaient des pions.

 

ThB : Finalement, et bien qu’appartenant à la GRU, Sergueï, se comporte plutôt bien ?

RM : « Bien », ça ne veut pas dire grand-chose. Je peux rire avec cet homme. Il peut être un mari aimant et un bon père pour ses enfants, je n’en sais rien. Ce qui m’intéresse et qui intéresse le public c’est que c’est un officier et un agent de renseignement.

Sous couvert de son statut diplomatique, il multiplie les activités allant à l’encontre des intérêts français, parfois en violant la loi. Par exemple en proposant à des partis politiques de financer illégalement une campagne politique. Ou en me demandant de lui fournir des documents confidentiels.

Est-ce bien ou mal ? Question de point de vue. Depuis Moscou, il fait son travail. Depuis Paris, c’est un espion.


[1] Sergueï est un espion de la GRU (services secrets de l’armée russe) basé à Paris

ThB : Après 8 ans de rencontres, vous expliquez dans votre livre, vous avez un nouveau contact. Il se prénomme également Sergueï, mais vous dîtes de lui qu’il est médiocre.

RM : En huit ans, j’ai rencontré personnellement trois officiers différents. Ils ont des parcours et des profils différents. Celui que vous évoquez, le dernier, est considéré comme faisant médiocrement son travail par la DGSI.

Les policiers français remarquent par exemple que lors de son départ, il ne transmet pas ses contacts à son successeur, qui doit en partie repartir de zéro.

Moi, je ne peux pas juger la qualité du travail d’un officier de renseignement, ce n’est pas mon rôle.

ThB :  Il semble que sur le podium du non-respect de la Loi, les russes occupent la marche la plus haute. Cette attitude a-t-elle évolué ces dernières années ?

RM : Il y a un héritage qui date du XXème siècle et en particulier de la Guerre Froide. En 1930, les Soviétiques réalisaient déjà des enlèvements d’opposants en plein Paris. En 1991, beaucoup de dirigeants et de services de renseignement occidentaux ont cru que la lutte avec les services de Moscou allait se calmer. C’était une erreur. Ces derniers ont continué à mener des actions brutales et offensives contre nos pays.

En France, la situation s’est amplifiée depuis les années 2010, sur tous les plans. Les Russes ont multiplié les actions clandestines, les recrutements de sources, la propagande. Dans d’autres pays d’Europe, ils ont mené des attentats et des homicides. Tout cela a largement été sous-estimé par les autorités de nos pays et par nos opinions publiques.

Parmi les autres pays très agressifs, on peut citer la Chine, la Turquie et l’Iran. Chez des pays amis, les Américains, les Israéliens et les Britanniques sont souvent considérés comme étant souvent peu respectueux des intérêts français.

ThB : Revenons à votre premier contact… Qu’est-ce qui fait que, d’entrée, vous « flairez » le véritable objectif de votre espion russe ?

RM : Je ne le flaire pas moi-même. Je travaille sur des sujets sensibles, donc je sais que les « amitiés » n’existent pas dans ces relations professionnelles. Un militaire se présentant comme un « diplomate » dans une ambassade aussi sensible que la Russie, je ne suis pas totalement dupe. Mais c’est l’appel des services de contre ingérence français qui me fait prendre conscience de nombreux aspects. Par exemple, Sergueï Solomasov, le premier interlocuteur que j’ai côté russe, me pose des questions sur mon travail et mes revenus. Je me dis que c’est peut-être une plus grande ouverture de la part des Russes sur ce type de questions.

Ce sont les policiers français qui vont m’expliquer qu’il est en réalité en train de « faire mon environnement », de comprendre et d’identifier tout ce qui peut représenter une faille chez moi : mes finances, mes besoins d’argent, mes relations amoureuses, ma famille, etc. Les Russes ont été jusqu’à se renseigner sur mes ancêtres polonais, pour voir s’il y avait deux générations plus tôt des fidèles de l’Union soviétique ou des adversaires du communisme et de Moscou.

ThB : Est-ce que nos hommes et femmes politiques dans la situation actuelle de tensions internationales voient les espions russes comme plus dangereux aujourd’hui qu’il y a quelques années, alors que le terrorisme était en tête des préoccupations ?

RM : Sur les questions sécuritaires, stratégiques et militaires, le niveau moyen des politiques est faible. Ce sont des sujets qui sont finalement peu mobilisateurs de l’opinion publique. Y investir du temps n’est pas rentable électoralement.

La conscience d’un risque de conflit majeur dans lequel la France pourrait être engagée est revenue. Mais rares sont les politiques à réellement s’approprier le sujet.

Certains partis préfèrent même faire semblant de ne rien voir.

C’est le cas pour la guerre, c’est le cas pour le renseignement, c’est aussi le cas pour le terrorisme que vous évoquez : rares sont ceux à réellement creuser cette question aujourd’hui.

Les élus, comme les citoyens, ont la mémoire courte.

Il y a des exceptions, en particulier chez les élus. Dans les commissions spécialisées, certains d’entre eux creusent ces sujets avec beaucoup de sérieux, de pragmatisme et de rigueur.


Merci à Romain Mielcarek de son temps et de la capacité qu’il a pour nous restituer – là, comme dans son livre – sa rencontre avec des MOUJIKS.