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Un café avec Régis Genté

Publié le 18 novembre 2024 ...

#Comprendre

Après vous avoir présenté le livre de Régis Genté — Notre homme à Washington — il m’a semblé intéressant de déplacer le projecteur vers son auteur. C’est un spécialiste du monde soviétique et des pays de cette ex-URSS. Et là réside le grand intérêt de son livre, analyser Trump, en partant du comportement russe.

Son expérience du « bloc de l’Est » fait que, lorsque Régis Genté nous parle de tel mafieux exilé aux É.-U., il sait que, derrière, il y a le KGB, aujourd’hui le FSB.

Ce n’est donc pas anodin quand on a de telles relations et, encore moins, quand c’est le nouvel élu à la Maison-Blanche qui a ces relations !

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ThB –  Régis, avoir une telle approche du fonctionnement du KGB/FSB, demande une expérience fine du fonctionnement de l’URSS (aujourd’hui de la Russie). Et ce fonctionnement ne s’apprend pas dans les livres, j’imagine ?

RG — Pour être honnête, pour écrire ce livre (en un temps très court), j’ai aussi beaucoup lu. Il n’y avait rien en français ou presque, et beaucoup en anglais. Des rapports officiels, des livres, des articles de presse… Je les ai lus et digérés pour le lectorat français. Par ailleurs, je suis allé deux semaines à New York et Washington en avril.

Mais c’est vrai ensuite qu’une façon de m’approprier le sujet, outre mes interviews avec quantité de gens, a été d’exposer et analyser les informations lues et récoltées en leur donnant mon propre cadre d’analyse façonné par mes 22 ans de carrière, de travail acharné, dans l’ancien espace soviétique où je vis en permanence.

Comme journaliste et spécialiste de l’ex-URSS, je prête énormément attention aux cercles de pouvoir, aux « élites », comme on dit parfois, de Russie, aux oligarques ukrainiens, aux dirigeants du Caucase ou de l’Asie centrale. Et c’est à travers ce que j’ai appris et compris depuis 22 ans que j’ai tenté d’expliquer comment le KGB, puis le FSB, le Kremlin, les oligarques et les mafieux soviétiques, puis russes ont abordé Trump, l’ont « cultivé » pour certains, etc.

 Pour répondre plus précisément à votre question, sur l’aspect plus personnel, je dirais que, lorsque j’ai décidé de devenir journaliste, j’ai décidé que ce serait dans une région du monde et que j’y ferai toute ma carrière… Parce qu’il n’y a rien de plus compliqué que de comprendre des pays, des régions du monde qui ne sont pas les vôtres.
Par ailleurs, dans ma formation philosophique, où j’ai beaucoup lu Nietzsche ou Max Weber par exemple, je m’étais peu à peu forgé cette idée qu’il fallait étudier de près les élites de ces pays. Et c’est ce que mes 22 ans d’expérience en Géorgie, en Russie, en Ukraine, en Asie centrale m’ont aussi appris. Je travaille énormément sur les cercles autour de M. Poutine, par exemple depuis des années.

Alors c’est fort — si je puis dire — de ce que j’ai appris du fonctionnement de ces élites, par exemple, comme elles fonctionnent dans un régime autoritaire dur, ou comment la mafia ne peut exister qu’en « travaillant » avec les organes de force, et vice-versa, que j’ai raconté les quatre décennies où les Russes ont cultivé Donald Trump.

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ThB – Toute lectrice et tout lecteur qui se saisit de votre livre, même s’il a entendu parler des agissements de Donald Trump, ressort de la lecture de vos pages en s’interrogeant sur ce qui peut se passer, ce qui va se passer après la passation de pouvoir entre Biden et Trump (Inauguration day). Comment imaginez-vous le comportement des amis russes de Trump avant l’inauguration day ?

RG —Je sors de ce travail d’enquête en ayant la conviction et mille indices que M. Trump est « tenu » par les Russes. Pas comme un « agent », c’est-à-dire pas comme quelqu’un que le FSB rémunère pour lui rapporter des informations sensibles et servir les intérêts de Moscou, mais comme ce que les maitres-espions russes appellent un « contact confidentiel », quelqu’un qu’on cultive en lui rendant des services afin qu’il parle et agisse dans l’intérêt de Moscou.

 

 

Et c’est ce qu’il a toujours fait, dès le lendemain de son premier voyage à Moscou en juillet 1987. Trump est à bien des égards très prévisible en réalité pour le Kremlin. Il le fait parce qu’il est manifestement « tenu », pas pour des histoires de kompromat de nature sexuelle comme on le dit trop souvent, mais bien plutôt par de l’argent russe qui l’a servi tout au long de sa carrière de développeur immobilier, mais aussi parce que cela semble répondre à ce qu’est son ADN sociopolitique. Il aime les États forts, la puissance… Cela dit, par ailleurs, en tant qu’animal politique américain, il recherche le gain politique immédiat. À ce titre, il peut donc décider simplement en fonction de ce qui est bon pour lui et pour l’Amérique, selon lui… et ce, potentiellement au détriment de Moscou.

RG — Tout cela pour dire que je pense qu’il va tâcher de forcer l’Ukraine à lâcher prise, en cessant de l’armer autant que le permettront les pouvoirs qui seront les siens en tant que président des États-Unis. Il y a de fortes chances qu’il le fera en faveur de la Russie. Car on ne sera plus dans la configuration de 2017-2021 où il doit composer avec les « adults in the room », les vieux serviteurs de l’État américain comme Pompéo, Bolton, Mattis… La question est de savoir s’il le fera en cédant en tout à Vladimir Poutine, et l’on peut le penser au regard de ce qu’il nous a montré de sa relation avec lui entre 2017 et 2021, ou s’il saura et voudra forcer la Russie à faire également des concessions dans ce conflit.

Mais sur le côté « gain politique immédiat », on sait qu’il voudrait « drill drill drill », produire du pétrole américain et en inonder les marchés mondiaux. Pour créer de l’emploi dans son pays, générer des revenus… ce qui pourrait faire baisser les cours du brut et du coup, sans que ce soit l’intention, pénaliser le budget russe.

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ThB –  Sans trop dévoiler de votre analyse des relations entre D. Trump et la Russie, pensez-vous que son élection conduira à un renforcement de ces relations au cours du mandat qui débutera en 2025, ou plutôt que celles-ci seront ralenties ?

RG — Compte tenu de ce que je viens de résumer, j’ai le sentiment que, oui, Washington va travailler à renforcer et améliorer ses relations avec la Russie de M. Poutine. Parce que l’ADN politique de Donald Trump, c’est aussi une haine viscérale de la démocratie, des démocrates américains et de la majorité des pays membres de l’UE. Cette très grosse tentation illibérale va de pair avec une accointance avec les soi-disant valeurs traditionnelles…

Tout cela le mène naturellement à cultiver une bonne relation avec la Russie de Vladimir Poutine, avec la Hongrie de Victor Orban, le Brésil de Jair Bolsonaro lors de son premier mandat… et peut-être même à être devenu beaucoup moins mordant contre la Chine de Xi Jinping. 

… Et donc plus mordant avec les Européens, la France …


Notre homme à Washington : Trump dans la main des Russes

 Éditions Grasset (2024)