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Et au milieu de belles rivières ont coulé (#3)

Publié le 25 novembre 2023 ...

#Comprendre #Environnement

Aujourd’hui, troisième partie de ma discussion avec Philippe Koeberlé. Il nous parle de l’état de nos rivières, au regard de ce qui a été ‘‘promis’’, fait -ou non- depuis dix ans. À celles et ceux qui se demandent qui -et que- croire, je conseille de lire ces lignes courageuses et sans concession.

Philippe, quasiment dix ans ont passé depuis notre première discussion. J’ai envie de te demander des nouvelles de l’Ognon, cette rivière qui a vu tes débuts de pêcheur. Comment va cette rivière ?

C’est une des rares rivières qui va un peu mieux, en aval de Lure. De gros problèmes de fonctionnement de la STEP[1] de Lure ont été réglés, les déversoirs d’orage supprimés. La qualité de l’eau s’est améliorée, de belles populations d’insectes sont revenues. Cela ne se traduit pas encore sur les populations de salmonidés qui restent fragiles mais il y a une lueur d’espoir, bien que cette rivière souffre du réchauffement climatique.


[1] STEP est l’acronyme de station de transfert d’énergie par pompage. L’appellation usuelle est celui de station d’épuration des eaux usées

Avant de parler plus précisément des pollutions, je voulais que nous évoquions ces larves et insectes dont se nourrissent les poissons. Depuis quelque temps déjà à propos des insectes, on parle d’une sixième extinction. Quelles conséquences sur la population halieutique de nos rivières ?

Les insectes inféodés au milieu aquatiques disparaissent progressivement, la situation est dramatique. C’est une source de nourriture fondamentale pour les salmonidés, en particulier les ombres, qui ne se nourrissent quasiment que d’insectes. De même, les juvéniles n’ont plus assez de nourriture et meurent de malnutrition (entre autres) avant l’âge adulte. Des poissons sous-alimentés dans une eau polluée, le plus surprenant c’est qu’il en reste !

Venons-en aux pollutions. En 2014, tu pointais déjà le lisier. Est-ce que depuis il y a eu une prise de conscience côté éleveurs, voire côté filière Comté ?  Et, si oui, cela se traduit-il dans l’eau de nos rivières ?

Les agriculteurs de la filière comté ont beaucoup de mal à accepter leurs responsabilités dans la dégradation de la qualité de l’eau malgré les études scientifiques le prouvent (Chrono-environnement, BRGM, pour les plus récentes). L’AOP a des qualités indéniables, mais cela ne suffit pas à protéger l’eau. Il y a surproduction par rapport à ce que les sols peuvent absorber. Le lisier est une véritable marée noire pour nos rivières. Cela a été une erreur fondamentale, pourtant dénoncée depuis le début par les environnementalistes. Actuellement il y a une pause dans les conversions, mais l’excédent de ce produit, toxique pour les rivières et les sols est là.

Restent d’autres pollutions, hélas. Parmi elles, il y a ces produits chimiques que nous avons à nos domiciles. À leur propos, tu avais une formule choc, puisque tu disais que « chacun stocke sous son évier de quoi détruire plusieurs dizaines de mètres de rivières ». Est-ce que là, tu vois nos comportements changer ? Et que faire pour accélérer nos prises de conscience, tant individuelles que collectives ?

Certains changent leur comportement, mais ce n’est pas la majorité. Certains produits devraient être carrément interdits. Mais on ne veut pas embêter les industriels. Ils sont utilisés sans limites ni contrôle, et bien souvent passent au travers des STEP.  Dans un même ordre d’idée, il faut savoir que les médicaments ne jamais épurés par ces dernières. Imaginez les conséquences en termes de pollution…

Actuellement, le premier contrat de rivière de la vallée du Doubs et des territoires associés arrive à son terme. Personnellement, les premiers éléments portés à notre connaissance par la presse ne me semblent pas ‘‘fabuleux’’ puisque seulement 28 % des actions engagées seraient achevées à ce jour. Autre point important, les études prévues dans ce contrat montreraient que l’état des rivières concernées par ce contrat, serait moins bon qu’on ne le pensait. Le bon côté des choses est que l’on sort peut-être du déni, mais — mauvais côté des choses — c’est pour constater la présence de pyralène, de nitrates et d’autres substances appréciées par les poissons et les humains telles que des pesticides, évidemment, des métaux lourds, etc.

Quelles réactions devant ces premières données issues du contrat de rivière de la vallée du Doubs ?

Ce n’est pas le premier contrat de rivière qui déçoit ! il y a des effets de seuils pour constater une amélioration, et il est évident que 28% d’actions menées à terme ne peut inverser une situation qui s’aggrave depuis 70 ans. Il faut continuer mais on ne dépolluera pas les rivières sans mesures parfois impopulaires. Actuellement, l’État ne veut pas se fâcher avec les agriculteurs, contraindre les particuliers, augmenter les budgets, gêner les forestiers, durcir les normes, faire un grand plan d’assainissement qui pourtant serait bon pour l’emploi, et pas plus couteux que certaines routes, ronds-points ou autoroutes dont l’utilité ne se justifie plus.

Enfin, terminons, par ton actualité. Tu es auteur de romans depuis quelques années et donnes vie à un guide pêche Séverin Menigoz. En 2014, nous le découvrions dans « Le sorcier d’Ornans ». En 2023, Séverin mène à nouveau l’enquête.

J’imagine que Séverin partage un peu tes inquiétudes environnementales ?

Bien sûr. Oui le dernier est particulièrement d’actualité. J’essaye modestement de montrer la réalité et de faire prendre conscience aux Francs-Comtois ( et aux autres !) de la gravité de la situation. J’ai d’excellents retours, de lecteurs qui n’avaient pas pris conscience de l’état de nos rivières. Y compris d’agriculteurs, de paysans plutôt.

Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de la pollution. Il faut malheureusement constater que la mobilisation des Francs-Comtois n’est pas à la hauteur de la dégradation de rivières, pourtant uniques en Europe.