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Donbass, le polar et un peu plus…

Publié le 16 avril 2022 ...

#Comprendre #géopolitique

Quoi de mieux qu’un polar pour nous plonger aux côtés des habitants du Donbass, dans une géopolitique du quotidien ? Benoit Vitkine nous les fait rencontrer et toucher du doigt misère, corruption et souffrances pour comprendre ce qu’est ce bout du monde au bord du gouffre. Une réussite !

Le roman s’appelle « Donbass » et son auteur a de quoi nourrir le quotidien de ses personnages puisque, correspondant du quotidien « Le Monde », il a suivi ce que j’ai envie d’appeler au moment où j’écris ces lignes, la première guerre du Donbass. L’histoire qu’il nous raconte se déroule à l’hiver 2018, quatre ans après Maidan et après que des indépendantistes aient voulu faire sécession.

La dimension polar

Henrik Kavadze est colonel et dirige la police d’une petite ville, Avdiïvka, trop loin de la ligne de front pour être paisible, mais trop près pour ne pas entendre le bruit de la canonnade. Henrik va enquêter sur la mort d’un jeune enfant.

Ce faisant, avec beaucoup de finesse, il nous dévoile différentes facettes de la vie ukrainienne qui, par bien des côtés, ne sont pas si éloignées de ce qui se passe en Russie, mais sont beaucoup plus incarnées que les images rapides diffusées dans nos shows télévisuels consacrés au drame ukrainien.

Facette « vie quotidienne »

Pour nous faire partager le quotidien de la population d’Avdiïvka, une ville moyenne située à l’autre bout du pays, à l’opposé de Kiev, notre auteur amène son enquêteur à rencontrer différentes personnes dont on découvre le quotidien. Cela n’a rien de superficiel et passe au contraire très bien. C’est le cas d’une de ces babouchkas que l’on voit si souvent sur les reportages filmés dans par les télévisions européennes au hasard des villes et villages ukrainiens. Il y a aussi la prostituée, jeune femme pleine d’empathie pour des clients plus ou moins cassés par la vie, sans oublier le directeur d’une grande usine, Levon Andrassian.

Facette « corruption »

Comme l’auteur le fait dire à l’un de ses personnages, « la guerre n’est qu’une catastrophe supplémentaire dans la litanie des épreuves qui avaient balayé les steppes du Donbass. Les coups de grisou […], la fermeture des mines et même la misère sauvage des années quatre-vingt-dix où on se faisait assassiner en sortant sa poubelle », tout a concouru à installer la corruption. Elle est d’abord un système de ‘‘débrouille’’ pour survivre. C’est aussi un système d’enrichissement des plus malins et des plus… sauvages.

Ici, c’est plutôt à une corruption, du quotidien encore une fois, que vous serez confrontés. Vous la vivrez dans sa logique qui fait monter les commissions en fonction du grade ou de la position sociale de celui qui a le bon passe-droit, ou le pouvoir nécessaire, pour débloquer une situation. Autour d’Henrik, cette logique semble tellement banale.

Facette « guerrière »

Tout ce que décrit Benoit Vitkine, au travers des yeux de ses personnages, n’est possible que par un état de guerre qui existe depuis quatre ans (l’action se situe en 2018). C’est une guerre où le passé soviétique n’est jamais bien loin et où nous faisons quelques incursions, en Afghanistan par exemple. Ce que nous pouvons lire dans ces lignes résonne terriblement à nos oreilles à un moment où les villes et villages ukrainiens abandonnés par les Russes laissent découvrir les preuves de violences inhumaines…

Voilà, avec Donbass[1], Benoit Vitkine, journaliste de grand talent crée un nouveau genre de polar, après le roman policier scientifique, le roman policier social ou celui d’espionnage. C’est le roman policier géopolitique. C’est noir, plein de rebondissements et prenant.

Merci à lui.

Par Thierry Brenet

[1] Donbass, Benoit Vitkine (éditions les Arènes)