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Dorothée Olliéric, grand reporter de guerre, simplement (2/2)

Publié le 11 septembre 2022 ...

#Comprendre #géopolitique

Avec le temps, Dorothée va continuer à sillonner le monde pour témoigner des guerres. Ce sera le cas en Europe, en Bosnie, en Tchétchénie. Les temps changent et les risques vont croissant. Du risque de guerre (balle perdue, éclat d’obus, etc), on passe aux risques ‘‘personnels’’ qui peuvent aller, aujourd’hui, jusqu’à la décapitation.

Raconter la guerre au risque de…

Malgré ces expériences dures et traumatisantes que nous avons évoquées dans un premier article, Dorothée aime ‘‘couvrir’’ les pays en guerre. « Raconter la guerre est quelque chose de très fort, de très puissant. C’est véritablement enrichissant, humainement. Les sentiments des personnes que nous rencontrons sont exacerbés. Tous les sentiments, l’amitié, la peur, la violence, la gentillesse, la frousse et l’horreur, évidemment.

On tombe dans les bras des autres, on survit ensemble. On prend des risques ensemble. Ça rapproche et crée des liens très forts. Et puis il y a l’adrénaline, celle qui permet de tenir, parfois de s’échapper. Dans les pires situations, elle est juste là pour nous éviter de ‘‘péter un câble’’ au moment où ça devient dangereux. Elle nous aide à négocier lorsque quelqu’un nous pointe une arme sur le front. Car là, si on crie, si on hurle, on se fait buter ».

Un métier, une passion

Quand on lui rappelle qu’elle a dit que son métier est un métier de taré, Dorothée sourit et précise que, tarée, non, elle ne l’est pas. Et puis, elle admet « qu’il faut être un petit peu dingue pour écourter ses vacances, partir dans un pays en guerre et laisser ses enfants. Pour autant, je me sens extrêmement normale. Je suis quelqu’un d’équilibré qui fait des reportages dans des situations un peu extraordinaires, dangereuses.

J’aime passionnément ce métier. Cela explique, pourquoi cet été, alors que je suis en vacances en famille, je sacrifie ma dernière semaine de vacances pour partir en Afghanistan. À cet instant, en effet, je n’imagine pas être ailleurs qu’en Afghanistan, le 15 août, lors du premier anniversaire du retour des talibans ».

« Après, si je prends des risques pour ma vie, j’ai une bonne étoile. Je suis partie 30 ou 40 fois et elle m’a toujours protégée. J’y crois toujours et j’espère qu’elle continuera longtemps à me protéger. Par contre, le jour où on n’y croit plus, il ne faut plus partir ».

Au moment de tout départ, j’ai quand même la boule au ventre, mais j’arrive calme sur place. Je fais mon travail sereinement et heureusement, car un reportage pour la télévision, ça ne se fait pas depuis l’arrière.

Alerter, mais aussi aider

« Avant toute mission (entre deux et quinze jours, généralement), les choses sont déjà un peu calées. Pour l’Afghanistan, comme je connais le pays, je propose des sujets, huit environ. Ils ne sont pas totalement calés, mais je sais qu’il est possible de les traiter. En conférence de prévision, le rédacteur en chef en retient quatre. Sur place, certains sujets doivent être abandonnés du fait du contexte. J’en propose d’autres à la rédaction, on discute et je travaille sur ce qui est arrêté. Par exemple, un sujet impossible à faire a été remplacé par un autre sur la pauvreté, tourné le jour pour être diffusé le lendemain. Mon expérience et les sujets que j’ai déjà abordés font que l’on me demande aussi de revenir sur des thèmes traités. C’est le cas avec la vente des enfants. Un sujet très émouvant pour lequel nous avions suivi une petite fille à vendre. La médiatisation de sa situation et les dons récoltés l’ont sauvée et nous l’avons retrouvée pour cette suite. Elle n’a pas été mariée de force et elle est logée par une association. Une belle happy end. En plus d’alerter l’opinion, on peut parfois changer le destin d’une personne ».

Bien faire son boulot !

Quand une chaîne de télévision suit et informe sur un conflit, la première manière de proposer une vision objective est de diffuser des reportages réalisés avec des équipes des ‘‘deux côtés’’. Dans certaines situations, il peut n’y avoir sur place qu’une seule équipe. C’est régulièrement arrivé à Dorothée qui va, alors, travailler d’un côté de la ligne de front, puis de l’autre, même si ce n’est pas toujours « simple » : une ligne de front ne se traverse pas aussi aisément qu’une frontière…

« Sur le conflit israélo-palestinien, chaque fois que je fais un sujet en Israël ou en Palestine, je suis critiquée par l’autre camp. J’en déduis que je fais bien mon boulot puisqu’aucun des deux camps n’est content. Les uns me disent pro-israélienne et les autres pro-arabe ».

« En fait, j’essaie d’être honnête en montrant les deux faces du problème. Je raconte ce que je vis, par exemple, un enfer côté israélien sous les roquettes du Hezbollah qui pleuvaient. Imaginez, 350 roquettes qui tombent par jour et vous êtes dehors… J’ai eu l’impression de jouer à la roulette russe en compagnie de familles. Comme elles n’habitent pas loin de la frontière, elles ont, en moyenne, onze secondes entre l’alerte et l’impact pour aller jusqu’à un abri ! C’est trop court pour rassembler tout le monde et donc ces familles s’entassent dans l’encadrement d’entrées d’immeubles ».

« De l’autre côté quand je suis à Gaza et que je vois l’horreur que vivent les gens dans cette prison à ciel ouvert, je le raconte avec la même force ».

« Raconter ce que je vis, je le fais, partout, sans filtre. C’est valable en Ukraine. En 2014, j’étais dans le Donbass à Donetsk, dans le camp prorusse et j’ai vu les bombes ukrainiennes tomber sur les écoles, l’hôpital et la morgue. J’ai aussi vu les civils mourir sous ces bombes. Aujourd’hui, quand je raconte à ma fixeuse ukrainienne ce qui se passait en 2014, elle me dit que ce n’est pas possible, qu’en 2014 les Ukrainiens ne tiraient pas sur les hôpitaux, les civils ».

Un livre, puis deux

Dorothée aime l’Afghanistan. « C’est mon pays de cœur et j’y vais depuis 25 ans. J’ai vécu l’arrivée des talibans et l’année dernière leur retour. J’avais également vécu l’arrivée des troupes américaines, puis françaises et leur départ… Et tout cela dans un pays que j’aime profondément, un pays d’une immense beauté ». Cela ne l’empêche évidemment pas d’être sensible aux drames que vit la population et notamment les femmes sous le joug taliban. Avec une infirmière bénévole, Marie-José Brunel, elle co-écrit un livre sur ces Afghanes qui s’immolent par désespoir (voir son témoignage ici) ».

Plus récemment, Dorothée a pris le temps d’écrire un deuxième livre, construit autour d’un militaire, Maxime Blasco, mort au Mali le 24 septembre 2021. Mais, avant de parler de la mort de ce soldat qui conduira Dorothée à écrire ce livre, un retour en arrière est nécessaire pour comprendre comment ils se sont rencontrés.

 « C’est quelqu’un que j’ai connu et apprécié lors d’un reportage consacré à un acte héroïque qui l’a amené à sauver deux de ses camarades après le crash de leur hélicoptère Gazelle, alors qu’il était lui-même grièvement blessé ».

 « J’ai donc raconté le crash de l’hélicoptère (2019) et le sauvetage par Maxime dans un documentaire pour France 2 (2020). Pour avoir la matière nécessaire, j’ai mis un an à convaincre les militaires d’accepter de me raconter ce qui s’est passé, de me permettre d’échanger avec les militaires qui se sont crashés avec lui, ceux qui étaient au sol et se battaient, de me donner les images de drones, les enregistrements audio de l’hélico. Au milieu de toutes ces difficultés, ajoutons que Maxime n’aimait pas les journalistes. Pour l’approcher, il m’a fallu montrer patte blanche et que nous nous apprivoisions mutuellement. Il ne voulait pas à l’époque où je travaillais sur ce documentaire que je parle de lui comme d’un héros. Une fois sa confiance gagnée, il s’est révélé drôle, charismatique et en même temps taiseux. Pour moi, à ce moment-là, il fait partie de ces militaires que l’on a envie de revoir, de prendre pour ami et de les retrouver sur le terrain.

 Lors de cette première occasion, il s’était passé quelque chose. Alors quand j’ai appris sa mort… ».

« En 2021, il repart au Mali et meurt le 24 septembre. Je vois sa photo sur un fond bleu-blanc-rouge.

Il y a les hommages et là je me dis mon Dieu, moi je connais ce qu’il y a derrière cette image, je connais ce visage, je connais son histoire et j’ai envie de savoir comment il est mort.

Au début de mes recherches, les militaires ne donnent pas de détail “Il est mort pour la France” et basta, mais je suis persuadée qu’on ne peut pas tourner la page comme ça. »

« Finalement, j’obtiens de l’armée l’autorisation de rencontrer ses camarades. J’ai des détails sur l’opération comme sur l’annonce de sa mort à sa maman et à sa femme.

Je pense que j’étais la mieux placée pour raconter son histoire, comment ses yeux pétillaient quand il racontait des histoires, comment il était humble.

Et puis cela donne une petite idée de ce qu’ont vécu les autres militaires morts au Mali »…