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Et au milieu coulait une belle rivière, la Loue (#2)

Publié le 27 octobre 2023 ...

#Comprendre #Environnement

Nous avons laissé Philippe sur un constat dur, puisque pour lui, au début des années 2010, la Loue, « en aval d’Ornans est presqu’un désert ». Au-delà des constats, il veut témoigner, faire réfléchir et promouvoir différentes solutions grâce au monde associatif. Écoutons-le.

Il connaît des pêcheurs qui utilisaient un parcours privé. « Sur ce parcours, la règle était de ne pas garder une truite mesurant moins de 50 centimètres. À partir de 2009/2010, plus une seule truite atteint cette taille. Et ce n’est pas un phénomène passager : depuis, cela ne remonte pas » …

Double engagement

Au fil des années, l’homme évolue également. Il ressent progressivement le besoin de replacer dans la rivière le poisson pris (pêche no kill). Et puis, face à la dégradation de ces milieux qu’il aime, l’engagement dans la protection de l’environnement devient logique.

Il adhère à l’association ANPER-TOS (truite, ombre, saumon). Cette association, au départ, a été créée pour promouvoir la pêche à la mouche dans les années 60. Constatant les dégradations de nos rivières dues à la pollution, elle décide d’agir aussi pour la préservation de ces milieux fragiles et donc de leurs populations halieutiques.

Avec quelques copains, il crée l’antenne régionale de cette association en 1994. Celle-ci connaît rapidement le succès en rassemblant des pêcheurs jusque là isolés dans leurs constats et leur volonté d’agir, au point d’atteindre une centaine de membres en Franche-Comté.

Après avoir travaillé sur les pollutions du Dessoubre, qu’il connaît bien, Philippe Koeberlé rejoint le collectif « SOS Loue et rivières comtoises » créé en 2010, alors que la Loue connaissait une mortalité massive de sa population piscicole.

« Personne ne s’y attendait. On pensait même que l’état de la Loue s’améliorait. Ce fut un vrai choc. À l’époque, on faisait le parallèle avec le Dessoubre que l’on pensait tiré d’affaire. À l’époque…, mais ce n’est plus le cas maintenant, comme on a pu le voir l’hiver dernier ! »

Causes  » directes » …

Quand on interroge notre homme sur les causes de ces pollutions, il cite plusieurs causes, parmi d’autres :

  • le lisier, la surfertilisation, l’usage excessif des pesticides. « C’est dommage, car, souvent dans nos problèmes, il y a une bonne idée. Ici, la bonne idée est de donner du petit lait (un déchet) aux porcs, pour les nourrir et produire avec leur déjection un fertilisant, le lisier. Malheureusement, ce lisier est aussi un produit toxique et désormais l’élevage bovin se fait sur un lisier qui devient excédentaire. Du lisier que nous devrions considérer comme un déchet et le traiter comme tel, plutôt que de l’utiliser comme engrais ».
  •  Les « défauts de collecte et d’assainissement des eaux usées, les insuffisances de surveillance et d’entretien des installations existantes. »
  • L’industrie du bois : « les traitements des grumes en pleine nature par des insecticides hautement toxiques, le stockage en plein air de bois traités et ouvragés dans les scieries. Le bois est un produit écologique, mais pas son industrie. »
  • Les produits chimiques « pas toujours indispensables, loin de là — que chacun de nous utilise quotidiennement. Chaque foyer stocke de quoi détruire plusieurs dizaines de mètres de rivières sous son évier. »

… et indirectes

De plus, la nature particulière des sols francs-comtois aggrave les choses : ils sont constitués de sols, souvent de faible épaisseur, et d’un sous-sol de roches calcaires, très souvent fissurées et qui n’ajoutent aucun pouvoir de filtration à celui de nos sols. En d’autres termes, nos sols et sous-sols constituent une vraie passoire qui « favorise un passage rapide des polluants de la surface aux réseaux souterrains puis dans les rivières ».

Dangers pour l’économie locale

Philippe Koeberlé va plus loin, car la pollution de nos rivières met en danger certaines filières économiques comtoises.

« Une rivière peut être vue comme un arbre dont on ne voit pas les racines, ce qui ne les empêchent pas de plonger dans un environnement très large ».

La première filière mise en danger est celle du tourisme lié à la pêche à la truite et à l’eau en général. Nos rivières, comme la Loue, le Dessoubre, le Doubs franco-suisse, jouissaient en effet d’une réputation internationale dépassant largement la Franche-Comté. Mais demain

La seconde filière potentiellement concernée pourrait être celle des productions laitières (Comté, etc). Personne n’ose dire aujourd’hui comment elles évolueront (qualité gustative, etc), de plus en plus de fermes d’élevage abandonnant le fumier au profit du lisier, lequel est beaucoup plus lessivable par les pluies et dangereux pour la diversité floristique

Et face à cela, Philippe Koeberlé propose plusieurs pistes de travail :

« Ne pas vouloir faire produire à notre terroir plus que ce qu’il peut donner, considérer le lisier comme un déchet et revenir au fumier, développer massivement l’agriculture biologique, stopper la course aux rendements dans la production laitière et l’intensification de l’élevage, construire ou compléter nos systèmes d’assainissement et de collecte des eaux usées, améliorer les méthodes de l’industrie du bois, contrôler la production des micropolluants… La tâche est grande, il n’est pas encore trop tard, mais il y a urgence ».