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F Gülen et le Hizmet – 2013/2022 (2/2)

Publié le 6 août 2022 ...

#Comprendre #géopolitique #Monde

La Turquie d'Erdogan semble être partout actuellement... J'en ai profité pour parler d'un personnage qui a beaucoup compté dans l'AKP, avant de se voir traité de terroriste, F Gülen. Après un premier article où nous sommes passés derrière le rideau des apparences, continuons. Nous irons ainsi jusqu'à la chute du Hizmet, partout dans le monde.

Fethullah & Recep

Dans l’histoire récente des pays, il y a souvent un grand homme qui incarne leur saut dans l’ère moderne. En Turquie, cet homme est Mustapha Kemal Atatürk. C’est lui qui installe un régime politique laïc. Après son décès (1938) et la Seconde Guerre mondiale, le « laïcisme militant » va s’effacer progressivement et les mouvements religieux à nouveau légalisés reprennent place dans l’espace public. Le libéralisme va — bon gré mal gré du fait de coups d’État à répétition — s’installer, accompagné de la montée de partis islamistes.

En novembre 2002, un gouvernement se revendiquant de l’islam politique s’installe aux commandes du pays. Trois lettres vont nous devenir familières, AKP[1]. Recep Tayip Erdogan, le cofondateur de ce parti politique, devient Premier ministre.

Ce que nous savons moins, c’est que derrière l’arrivée au pouvoir de ce parti, deux hommes ont travaillé main dans la main. Cette alliance est celle d’un politique, Recep Tayip Erdogan, et d’un ‘‘religieux’’, Fethullah Gülen, le fondateur de la nébuleuse qui porte son nom, mais que les Turcs ont longtemps nommé Hizmet[2].


[1] AKP sont les initiales de Adalet ve Kalkinma Parisi, pour « Parti de la Justice et du Développement »

[2] Après le coup d’État, les autorités turques considère le Hizmet comme un groupe terroriste. Il est surnommé « FETO » (Organisation terroriste des partisans de Fethullah).


2013 puis 2016

Une brouille, qui couvait certainement depuis un certain temps, éclate au grand jour entre les deux hommes en 2013. Un scandale de corruption voit le jour à la fin de cette année et éclabousse l’entourage de RT Erdogan. Ce dernier considère que F Gülen en est l’instigateur. Pour ce faire, il aurait manipulé la justice et largement utilisé les médias du Hizmet.

Le divorce entre eux sera plus que consommé en 2016.

Le 15 juillet de cette année, une tentative de coup d’État tente de renverser le gouvernement en place. RT Erdogan, entre-temps passé de Premier ministre à Président (2014), le fait échouer et procède à une vaste épuration en accusant le Hizmet d’être « le » responsable de cet événement. L’épuration passe par l’éviction des Gülenistes de tous les rouages du pouvoir.

Aucun autre coupable n’est pointé du doigt, pas même Gezi Parki, mouvement initialement écologiste[1], et qui a progressivement agrégé autour de ses actions tous les mécontents de la politique gouvernementale.

Fethullah Gülen

[1] Gezi Parki était opposé à la transformation du jardin de la place Taksim en centre commercial.


Le Hizmet hors de Turquie après 2016

L’islam turc en Europe

En Europe, l’Islam turc est représenté, voire animé par l’État turc et deux mouvements.

L’État turc l’est avec, dans chacune de ses ambassades en Europe, un attaché chargé spécifiquement de cette question.

Pour ce qui est des mouvements, commençons par Milli Görüs. Il regroupe de très nombreuses associations et mosquées en Europe. À partir de 2002, année d’arrivée au pouvoir en Turquie de l’AKP, le mouvement passe dans la sphère d’influence de RT Erdogan.

Vient ensuite la confrérie des Suleymanci qui agit au travers de l’Europe selon deux axes, la religion d’une part et l’action socioculturelle d’autre part.

Ces trois acteurs partagent comme objectif la volonté d’entretenir parmi les Turcs expatriés un lien communautaire largement nourri par l’Islam.

Sur ce point, notons que les deux organisations, Milli Görüs et les Suleymanci, sont demandeuses pour siéger au sein du conseil français du culte musulman, ce qui n’est pas le cas du Hizmet de F. Gülen.

Ce dernier, en effet, ne recherche pas une telle reconnaissance, laquelle serait contraire à ses missions. Le mouvement de F Gülen  ne s’intéresse pas uniquement à la communauté turque, que ce soit dans ses actions sociales, dans le domaine économique et -par définition- lorsqu’il s’agit de dialogue interreligieux.

Le déclin du Hizmet en Europe…

Les purges lancées par RT Erdogan en 2016 ont permis l’éviction des Gülenistes de tous les rouages du pouvoir. Cette chasse aux membres du Hizmet s’accompagne de la confiscation de leurs biens propres comme de ceux appartenant au mouvement.

Concrètement, cela signifie la fermeture d’écoles et d’universités gülenistes. Les médias, entreprises et holdings coupables de gülenisme, ou simplement de sympathie à son égard, sont fermées et leurs fonds saisis.

Les membres de ces entités et leurs soutiens, quand ils ne sont pas emprisonnés ou en fuite, se retrouvent sans emploi et s’éloignent du mouvement, ce qui va faire fondre les ressources du Hizmet.

Le coup de grâce viendra de la création par le pouvoir turc, d’une fondation — Maarif — qui sera chargée, y compris en Europe de reprendre les actifs de la branche éducation du Hizmet.

En 2022, la Turquie continue à pourchasser en Europe les militants du Hizmet.  Nous en trouvons la preuve jusque dans la négociation d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. La Turquie, qui se faisait tirer l’oreille pour accepter cette adhésion[1], a monnayé son accord à l’extradition de terroristes de ces deux pays. Au-delà de membres et soutiens présumés du PKK, la liste de ces terroristes fournie par Ankara comprenait également des personnes proches du mouvement Hizmet. Aux marges de l’UE, la Turquie fait pression sur certains pays comme l’Albanie pour obtenir leur coopération dans ses actions de répression contre les membres du mouvement de F. Gülen et pour fermer les écoles créées par le Hizmet… Toutes les opportunités sont donc à saisir pour l’éliminer.

… et en Afrique

Ailleurs en Afrique, la reprise en main, par le gouvernement turc, via Maarif, des écoles se fait au gré des coopérations — et notamment des accords de coopération éducative — nouées entre pays d’Afrique et Turquie. Ainsi, au Sénégal, dès 2018, la totalité des écoles concernées a été reprise par Maarif. Idem au Cameroun, en Guinée équatoriale ou au Niger. Le réseau d’affaires güleniste Tuskon se voit progressivement supplanté par un autre proche de l’AKP, Müsiac. Certains pays résistent à cet effort visant à effacer le Hizmet de la scène économique et éducative africaine.

À ce jour, la confrérie créée par Fethullah Gülen est mondialement et durablement affaiblie et nombre de ses canaux de financement sont à ce jour taris… Son créateur, âgé de 81 ans, aura-t-il l’envie de relancer son mouvement ? Nul ne semble en mesure de le croire.


[1] L’adhésion d’un  nouveau pays à l’OTAN nécessite l’accord de tous les membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.


À ce jour, la confrérie créée par Fethullah Gülen est mondialement et durablement affaiblie et nombre de ses canaux de financement sont taris. Son créateur, âgé de 81 ans, aura-t-il l’envie de relancer son mouvement ? Nul ne semble le croire…

Par Thierry Brenet, journaliste  »géopolitique »