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Ludovic Pinganaud, témoin et acteur de situations de crise (1/2)

Publié le 6 janvier 2023 ...

#Comprendre #Sécurité

Par son expérience des procédures et de nos comportements en situation de crise, il porte un regard intéressant sur nos faiblesses face à ces crises qui, se concrétisant, fragilisent le fonctionnement de notre société. Aujourd’hui, dans le cadre d’une société dont il a été cocréateur, il apporte son expertise au public comme au privé.

Peut-être l’avez-vous vu cet été sur certains plateaux de télévision où il était invité à aider aux décryptages de certains événements tels que les feux de forêt. Il m’a semblé intéressant de prendre un temps avec lui, de lui donner la parole et ainsi vous permettre de vous imprégner de sa vision et de son approche de solutions pérennes à mettre en œuvre.

Cette approche est originale à mon sens puisqu’à côté des outils que nous pouvons mobiliser, il nous invite à ne pas oublier un élément, l’élément le plus important, à savoir l’humain, cet humain qui peut être cause de fragilité, comme source de résilience…

Impliquer le personnel

Pour que nous comprenions bien sa philosophie, Ludovic Pinganaud aime à raconter un exemple vécu au début de sa carrière professionnelle dans le corps des sapeurs-pompiers. Il est à un moment confronté à un système informatique qui permet d’envoyer sur un événement qualifié et géolocalisé tel engin, de tel centre de secours avec telles catégories de personnel. Le système ne fonctionne pas et il ne faut pas longtemps à Ludovic et à un de ses collègues, chargés de l’analyser, pour comprendre que la mise à jour humaine des bases de données s’appuyant sur une procédure précise est au centre des défaillances du système.

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« La défaillance ne se matérialisait pas au niveau du matériel informatique. Il nous a fallu reprendre les bases de données pour les mettre à jour. Par contre, un processus logique de saisie/vérification/mise à jour des données était nécessaire. Par exemple, en cas de création d’une nouvelle rue dans une commune, qui était responsable de son report dans la base de données correspondante ? Inutile de dire que des relations interpersonnelles entre responsables ne favorisaient pas l’actualisation des outils… Pour améliorer le fonctionnement de cet outil visant quand même à envoyer au plus vite, les bons matériels et les bonnes équipes au bon endroit, nous avons proposé d’impliquer le personnel, comme les chefs de salle, les opérateurs et les personnels en charge des mises à jour du Système d’Information Géographique (SIG) plutôt que les officiers supérieurs. Un tel fonctionnement impliquant plus largement le personnel — celui qui généralement va sur le terrain — a rapidement permis un fonctionnement efficient, et évité le remplacement d’un système de traitement d’alerte jugé défaillant. « 

La cellule interministérielle de crise

Changement de braquet pour Ludovic Pinganaud, puisqu’il doit, à un moment de sa carrière, coordonner l’action des ministères mobilisés en cellule interministérielle de crise et trouver l’équilibre entre les différentes forces mobilisées en cas d’événement grave d’envergure nationale.

« C’est un poste très difficile à tenir tant les enjeux de pouvoirs sont importants, mais aussi du fait d’un fonctionnement en silo. C’est en même temps très enrichissant puisque, entre 2013 et 2019 j’ai eu à gérer des crises comme les attentats de Charlie Hebdo, ceux du 13 novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice, mais aussi le crash de l’avion de la Germanwings dans les Alpes de Haute-Provence en 2015 ou les Ouragans Irma, José et Marié sur l’Ile de Saint-Martin en 2017. Et puis, d’autres événements se prêtent à un travail d’anticipation. Ce sont les grands événements sportifs, culturels ou politiques, nationaux ou internationaux. »

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Les situations complexes dans le privé

Vient ensuite un changement d’horizon pour Ludovic. Il quitte la fonction publique pour rejoindre la société cocréée douze ans plus tôt. À ses clients, il apprend à passer de situations de crise compliquées à des situations complexes…

« Si vous voulez faire la différence entre ces deux situations, sachez que la situation complexe prend en compte le facteur humain.

Prenez un processus décisionnel purement théorique. Il peut sembler parfait, tel qu’il a été écrit. Reste qu’il peut être fragilisé, par une personne qui à un moment donné fera remonter une information, ne la fera pas remonter et/ou osera prendre la décision, ou non. »

Exemple concret

Pour nous aider à comprendre votre propos, vous avez choisi un exemple concret, la vigilance météo.

« Effectivement, à l’heure où nous parlons, la réactivité de météo France a été mise en cause, à tort à mon sens. D’où l’idée d’expliquer leur manière de travailler et, de ce fait, de voir où sont les vraies responsabilités…

   Aujourd’hui, au sein de météo France, on a des experts qui font un très bon travail et s’appuient sur de très bonnes bases de données, en matière d’historique. Ils apportent leur expertise pour essayer d’anticiper les évolutions météo. Ce qu’ils font là, c’est de la vigilance. Celle-ci peut aboutir à différents niveaux d’urgence. Un niveau vert, jaune, orange ou rouge. »

Voilà pour le travail de Météo-France.

 

Ses experts ont une mission de vigilance que l’on ne doit pas confondre avec la mission d’alerte (populations, entreprises, services de l’État, etc.) laquelle fait intervenir le ministère de l’intérieur – la plupart du temps, via les préfets. Pour être concret, l’État communique sur la situation après avoir validé l’analyse des spécialistes météo. Ce dispositif est encadré par une circulaire interministérielle faisant intervenir le ministère de l’Intérieur qui est chargé de l’alerte.

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Sur cet aspect, je ne peux m’empêcher de faire réagir Ludovic Pinganaud…

Dans ce système que vous décrivez, la vigilance est assurée, l’information qui en découle existe dès lors que le préfet la valide. Et ce n’est qu’à partir de cette validation qu’un processus d’alerte se met en route, notamment d’alerte des populations. En termes de réactivité, quand des vies sont en jeu, on peut effectivement se demander quelle plus-value il y a à passer par un préfet ou un ministre pour prendre une telle décision de basculement ?

« Dans les faits, cela ne fait qu’alourdir le système et retarder la circulation de l’information. »

 

Faire beaucoup mieux

Y a-t-il aujourd’hui des alternatives plus simples ?

« Oui, aujourd’hui, un système d’alerte (FR-Alert) existe, un système qui sur une zone délimitée permet de rédiger un message et de l’envoyer à toutes les personnes dont les téléphones portables allumés ou en veille ‘‘bornent’’ sur un relais à l’intérieur de ce périmètre (système Cell Broadcast). Vous l’avez compris, un tel système a l’avantage de ne pas avoir besoin de préalablement recenser et enregistrer les numéros de portables. Petit détail qui a son importance, la traduction instantanée dans la langue de l’utilisateur du téléphone.

Ce type de système montre bien que, techniquement, on sait faire beaucoup de choses, mais que sur le plan organisationnel, c’est plus complexe à mettre en place parce que nous créons des procédures qui alourdissent considérablement le système et ne permettent donc pas d’aboutir à des décisions en phase avec la cinétique de l’événement, voire — parfois — d’aboutir à des non-décisions. Cette complexité liée à l’humain peut très bien déboucher sur une information qui remonte à un préfet, mais qui, à 4 heures du matin, sera lue à une autre personne qui décidera que ce n’est pas assez grave pour réveiller le préfet ! »