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La nouvelle armée russe

Publié le 1 mars 2022 ...

#Comprendre #Sécurité

Un petit livre intitulé « La nouvelle armée russe » paraissait il y a quelques mois. Quelle que soit la manière dont s’achèvera l’invasion de l’Ukraine, en lisant ce livre vous suivrez vingt années de transformation de l’armée russe, outil de « retour sur le devant de la scène internationale ».

Isabelle Facon, l’auteure de « la nouvelle armée russe[1] » est directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et qui, à ce titre, a beaucoup travaillé sur la Russie. Elle possède une certaine connaissance des évolutions de ce pays, y compris en matière militaire. Elle nous donne à voir — et donc à comprendre — l’évolution de l’armée russe depuis l’arrivée de V. Poutine au pouvoir.

                                                                                                             

[1] Livre paru aux éditions « les Carnets de l’Observatoire »

Survol…

Pour nous permettre de comprendre au mieux cette évolution, elle commence par rappeler quel était l’état des lieux au sein des forces armées russes à l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000. Ceci posé, sur la base des restructurations qu’il opère durant vingt ans, on peut mieux mesurer, guidés par les observations et analyses d’Isabelle Facon les forces et les faiblesses de la nouvelle armée russe. Avec la troisième et dernière partie intitulée « l’armée russe et le monde : évaluation de la menace et quête d’autorité internationale », nous achevons notre découverte de cette nouvelle armée qui a « retrouvé le sens de sa mission, le respect de la population ».

Isabelle Facon cite également le fait que cette armée modernisée a retrouvé « une certaine aura sur la scène mondiale ». L’avenir nous dira comment elle en sortira après la guerre déclenchée en Ukraine.

2000, état des lieux

L’armée que trouve V. Poutine, en arrivant au pouvoir est exsangue. Après l’éclatement de l’URSS, la Russie a différé jusqu’en 1992 la création de sa propre armée. Le partage des armées et bases entre ex-républiques de l’URSS n’a pas laissé forcément le meilleur à la Russie. Celle-ci doit même négocier pour pouvoir utiliser des installations comme la base de Sébastopol (sud-ouest de la péninsule de Crimée). Elle le fait tout en gérant le retour sur son territoire de troupes russes jusque là stationnées dans les anciens « pays frères », des rapatriements qui dureront jusqu’en 1994.

Ajoutez à cela des opérations de maintien de la paix dans certaines ex-républiques soviétiques et des problèmes financiers énormes — les paies accusent souvent des mois de retard et l’entrainement des hommes a presque disparu — et vous aurez une idée de l’état de délabrement de l’armée russe.

Isabelle Facon décrit cela avec beaucoup de précision et dans une langue qui nous donne l’impression de lire les premières pages d’un bon roman d’espionnage avec, par exemple, l’appel à quelques sociétés pétrolières pour sauver telle base des forces nucléaires stratégiques, ou bien la criminalité et la corruption qui sévit dans les rangs de cette armée.

On imagine aisément la rage de V. Poutine, dont « le projet de puissance de la Russie]… [devait s’appuyer fortement sur les instruments militaires ».

Laissons de côté les relations civilo-militaires compliquées — vous les découvrirez sous la plume de l’auteure — pour en venir à la deuxième partie.

Restructuration et modernisation

L’intervention en Géorgie (1998) montre à V. Poutine la faiblesse et l’inadaptation de l’armée russe. En 2007, V. Poutine nomme, à la tête du ministère de la Défense, un homme qui aura la dure tâche de faire disparaître la corruption. Celui-ci met en œuvre un programme de réformes important, « destiné à donner à l’armée russe un nouveau visage ». Les coupes dans le personnel administratif et dans le corps des officiers sont lourdes, mais cela permet de revenir à un ratio « officiers-hommes » comparable à celui de l’OTAN.

Cette réorganisation tient également compte des leçons tirées de la guerre en Tchétchénie. Je vous laisse lire les analyses de l’auteure sur cette période, une période qui s’achève (2012) avec un changement de ministre de la Défense. Autre ministre, autre politique, celle de ce nouvel homme à la tête des armées étant qualifiée par l’auteure de « temps de la consolidation ».

Ainsi, au Donbass (2014), sa stratégie est déclinée au travers de groupes tactiques interarmes « disposant d’importants moyens d’artillerie, ainsi que de moyens de guerre électronique et antiaérienne ».

Cet immense effort de modernisation s’appuie sur un rééquipement ‘‘tous azimuts’’. Les dotations en avions se comptent en milliers et celles de navires frôlent les 200.

L’entrainement des troupes sur terre, mer et air se développe à nouveau fortement avec, depuis 2019, un exercice stratégique d’envergure réalisé chaque année. Et puis des campagnes comme celle de Syrie accroissent l’expérience des troupes concernées.

Reconnaissance internationale

Tous ces efforts permettent à V. Poutine de s’approcher progressivement de son objectif, à savoir d’une armée dotée d’une autorité internationale. En la matière, progressivement, l’évaluation des menaces va réserver une grande place au « problème occidental ». Cela se traduit, notamment, par la réorganisation et le renforcement du district militaire ouest (sur front oriental de l’OTAN).

Vient ensuite la « renucléarisation de la culture stratégique russe » qui est un double outil, à la fois vu comme un outil de politique intérieure, puisque permettant de protéger le pays de menaces extérieures et comme un « modérateur des décisions prises par l’Occident en cas de crise ».

Cette dernière partie se lit comme un de ces thrillers qui montre les préparatifs d’une guerre. On peut aussi y voir de l’aveuglement chez la partie ‘‘adverse’’ puisqu’Isabelle Facon, par ses recherches, nous montre que ce qui s’est passé, ce qui se passe en Ukraine était écrit ou, pour le moins, largement prévisible.

Elle nous décrit également d’autres tendances, comme celle d’une armée de plus en plus appréciée de la population, en tant qu’institution « avec un niveau élevé de confiance ». Cela n’empêche pas une certaine défiance envers le pouvoir russe, à l’image de ces « politologues russes (qui) estiment que la concentration des autorités russes sur la menace occidentale] … [relèverait selon eux de mythes créés par des intérêts institutionnels ou corporatistes » …

Voilà… J’espère vous avoir donné envie de lire ce livre sur l’armée russe, laquelle au moment où j’écris ces lignes envahit l’Ukraine.