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Pierre Raphoz, la nature, la photo et un livre témoignage (4/5)

Publié le 19 novembre 2023 ...

#Culture #Environnement

Dans ma découverte du « Chamonix Photo festival », il y eut Baptiste Deturche puis Mario Colonel. Restait Pierre Raphoz. À l’image des animaux qu’il photographie, il me fallut être patient et attendre qu’il vienne jusqu’à moi. Cela a donné une longue conversation, dont je vous livre ici quelques extraits.

Le Chamonix Photo Festival

En fait, si les uns et les autres avaient envie de faire exister la photographie de nature, de montagne et animalière, c’est à Montier en Der que l’idée de ce festival est née : « C’est là que Mario Colonel (voir ici) m’en a parlé. On en a parlé autour de nous et l’intérêt que cela suscitait nous a donné la force de lancer les choses.

« Évidemment, cela devait être l’occasion d’exposer les travaux de photographes. Et puis, au-delà de ceux qui sont reconnus, il y avait l’idée d’un tremplin pour en faire connaitre d’autres. Restait à faire venir le public et là, nous étions tous d’accord, on voulait un festival accessible. Par exemple, nous voulions créer des sorties encadrées en nature, accessibles financièrement et techniquement parlant ».

Les bénévoles, une expertise collective

« À Chamonix, les grandes manifestations — sportives et culturelles — se succèdent durant l’année et les Chamoniards — comme toute la vallée — ont l’habitude et savent se mobiliser. C’est un des éléments de notre réussite. Ils ont répondu présents et jamais nous ne les remercierons assez ».

Ces mots de Pierre ne sont pas une figure de style. J’ai en effet pu m’en rendre compte, partout. Mais ce qualificatif ne suffit pas et ne dépeint pas la réalité si l’on n’y accolait pas la notion d’expertise.

Pierre en est le parfait exemple, quitte à malmener un peu sa modestie. Montagnard averti — il tutoie au quotidien les cimes depuis l’aiguille du Midi— , c’est aussi un photographe hors pair. Un expert donc — au milieu d’autres — mais qui a tendance à s’oublier, pour parler des autres. Ces autres, pour lesquels il a une profonde reconnaissance pour avoir donné corps à l’ambition d’une manifestation autour de la nature et de la photographie.

Pierre, la montagne et la photographie animalière

La première image que j’ai vue de ce festival fut un choc, car j’avais là sous les yeux une sorte de monstre antique émergeant d’une forêt sombre, le poil humide, avec seulement quelques branches nous séparant encore. Cette photo, c’est Pierre qui l’avait prise. « Je vais souvent en montagne, juste parce que je m’y sens bien. C’est là que je me sens le mieux et j’adore y marcher… des heures durant, même sans matériel photo ».

Avec la photo animalière, c’est un peu de lui dont Pierre nous parle : « La photographie, je l’ai toujours eue en moi, mais je crois que je la mettais sur un piédestal, même si j’ai  fait de la photo depuis mon adolescence. C’est avec un ami chasseur que j’ai compris que c’était peut-être plus simple que je ne le pensais. Alors, je me suis lancé, j’ai appris, je me suis fabriqué une expérience, parfois avec des erreurs, mais aussi avec de belles rencontres ».

Derrière les photos des histoires

Ces photos prises au fil du temps portent en elles des histoires. C’est le cas d’une chevêchette. Écoutez Pierre Raphoz, nous raconter cette rencontre. C’est, personnellement ce que j’appelle un instant d’éternité…

La nuit précédente avait couvert la terre d’un manteau de neige, offrant une toile vierge pour l’aube qui se profilait. L’objectif de cette matinée était clair : ouvrir un chemin pour Baptiste[1] et sa compagne, qui désiraient observer la chevêchette le lendemain.

Sous la férule d’une neige fraîche de 30 centimètres, l’atmosphère était saisissante de froid. Le parcours vers le lieu de rencontre avec la chouette était une ascension exigeante qui m’a pris près de deux heures d’efforts. Arrivant à destination, le vent glacial avait déposé́ une délicate pellicule de givre sur les arbres alentour. C’était un témoignage silencieux du pouvoir du froid sur la nature, transformant le paysage en une scène hivernale d’une beauté́ presque irréelle. Bien que la journée ne fût pas marquée par des ambitions photographiques, l’appareil photo avait pris naturellement sa place dans l’équipement, comme un fidèle compagnon prêt à saisir l’instant.


[1] Si vous n’avez pas lu l’article consacré à Baptiste Deturche, voir l’article ici

s Là, dans cette clairière de rêve, je m’accordai un moment de répit, me permettant de savourer mon repas en méditant sur la forêt qui m’entourait. Plus d’une heure s’écoula, mélangeant le temps à la contemplation, dans l’ambiance glaçante, mais également enchanteresse.
C’est alors, avant de quitter ce lieu enchanteur, que l’idée de rechercher la petite chouette émergea. Après tout, la nature réservait parfois des rencontres inattendues. Et c’est ainsi que, à quelques mètres seulement, l’objet de ma recherche apparut : la chevê
chette. Blottie sur le premier mélèze qui captura mon regard, la chouette reposait paisiblement, les yeux clos, en
parfaite harmonie avec son environnement.

L’émotion qui s’empara de moi à cet instant fut indescriptible.

Cette rencontre inattendue me dévoila une communion unique avec la nature, une sensation d’unité́ et de sérénité́. Pendant plus d’une heure, je pus partager cet espace givré, mais néanmoins apaisant, capturant ce moment éphémère pour l’éternité́, une preuve de la magie et de la beauté́ que la nature pouvait offrir, même dans les conditions les plus extrêmes ».

Beaucoup de patience, un peu de chance

Pierre connait ces massifs qu’il arpente depuis longtemps et, à l’écouter, on pourrait avoir l’impression qu’une bonne heure de marche suffit pour trouver le « bon spot ». C’est un peu moins simple. Parfois, chargé de tout son matériel, il va marcher durant 3 ou 4 heures, pour ensuite patienter et attendre que l’animal, qu’il veut admirer et peut-être photographier, vienne d’une certaine manière à lui. « L’attente peut durer 6 à 7 heures, parfois sans résultat photographique ».

Et puis la nature, la météo, après lui avoir joué des tours, vont lui réserver une bonne surprise, ponctuée d’une très belle photo, avec à la clé une belle histoire.

« les bouquetins, voilà une scène que je voulais capturer, deux bouquetins face à face sur la roche noire. J’entendais un seul bruit, celui, très sourd, de deux têtes qui se percutent, un tête-à-tête violent, mais presque chorégraphié. Le problème est que le flanc de montagne d’où venait ce bruit était complètement dans le brouillard. Et puis, soudain, cet écran qui me cachait les bouquetins s’est déchiré et cette scène incroyable est apparue devant moi. Le face-à-face a duré 10 minutes et ils sont partis… ».

Et puis, un livre… de photos

« Oui, un livre ! »  Comme tout photographe qui expose ses travaux, Pierre a vu des personnes s’immobiliser devant telle ou telle prise de vue. Comme tout photographe qui arrive à un certain niveau de maîtrise de son art et fait passer des émotions dans les images qu’il construit, je pense que l’envie d’un livre s’est construite progressivement en lui.

Et puis, quand, comme Pierre, on est amateur de livres de photos, on ne peut qu’avoir envie d’en faire autant, mais ce n’est jamais simple de l’accepter et, surtout, de se dire qu’on peut le faire pour qu’un jour ce soit son livre qui soit dans les mains d’autres amateurs…

« Le livre a toujours eu pour moi une symbolique particulière. Et donc, que le petit Pierre arrive à faire un livre, c’est un aboutissement. L’aboutissement d’un long et dur cheminement, parce qu’il n’est pas simple de choisir des moments forts de dix ans de photographie ».

Imaginez l’effort à produire pour choisir parmi toutes les photos prises durant dix ans à parcourir les massifs des Aravis, des Fiz, des Aiguilles Rouges, du Val Monjoie et bien sûr du Mont-Blanc…

Mais un livre, ce n’est pas qu’une collection de photographie. C’est un titre, une couverture et un papier que l’on frôle, tourne…« C’est vrai, j’aime les livres parce qu’au toucher il se passe quelque chose. Avoir un livre en main, c’est déjà une expérience en soi… J’ai donc choisi un papier texturé, car cela ramène du grain dans les photos. Elles prennent des effets d’aquarelles, de dessin, presque ».

Au moment où je termine cet échange avec Pierre, on annonce la neige à 1200 mètres. On enjambe cette saison qui sera belle, je n’en doute pas pour Pierre. On le fait pour parler du printemps d’une balade en forêt, dans ses forêts.

Pierre se défend d’être pédagogue, mais je suis certain qu’il saura me donner quelques conseils me permettant d’améliorer ma pratique pour mieux partager avec d’autres la magie de cette nature alpine qu’il aime, comme moi évidemment.

Merci Pierre, de ton temps, de tes photos et de tes mots… À bientôt.